Il y a des artistes qui nous impressionnent par leur détermination, d’autres par leur musique, et d’autres encore par leur vécu ; le duo Minihi rentre dans ces trois catégories. Musiciens de formation mais également artistes de renom ayant joué pour les plus grands – d’Agnes Obel à Thom Yorke en passant par Lady Gaga – Minihi impressionne par son parcours mais plus encore par sa musique. Signés dans un premier temps sur Deutsche Grammophon, le label qui héberge les productions d’Agnes Obel, puis aujourd’hui sur le label indépendant Unperceived Records, ils nous bercent, nous transportent et nous font passer par de nombreuses nuances émotionnelles, et ce simplement à l’aide de techniques de composition néoclassiques. À l’occasion de la sortie de leur premier album « Recaptures », nous leur avons posé quelques questions – à lire après écoute du chef d’oeuvre qu’est « Recaptures ».
1. Hello Minihi ! Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions ! Pourriez-vous vous présenter en quelques mots pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ?
Minihi : Salut Hauméa ! Nous sommes Minihi (Louise Anna Duggan et Zands Duggan). Nous sommes à la fois compositeurs et multi-instrumentistes et nous vivons à Londres. On compose de la musique instrumentale se trouvant quelque part entre les sphères électroniques et classique . Nous sommes également mariés !
2. Vous avez eu le privilège de travailler aux côtés d’artistes renommés et écoutés à travers le monde, et vous avez bien souvent joué à leurs côtés. Louise, tu joues des percussions aux côtés d’Agnès Obel, peux-tu nous en dire plus sur ce qui t’a amené à jouer avec elle ?
Louise: Bien sûr, alors Agnès recherchait une percussionniste de formation classique qui chante et joue d’autres instruments pour sa tournée européenne en 2017 et il se trouve que je remplissais tous les critères, et je joue avec elle depuis. Lorsqu’on a joué pour la tournée de Citizen of Glass en 2017, j’ai également joué du Dulcimer (un instrument de la famille des cithares, ndlr) dans le groupe, mais maintenant je joue d’instruments électroniques en plus des percussions et du chant. J’adore jouer sa musique.
3. De ton côté, Zands, tu joues aux côtés du groupe de rock Melt Yourself Down, un groupe dont la musique est loin des œuvres néoclassiques que vous avez présentées dans « Recaptures » ! Comment est-ce que tu as commencé à jouer avec eux ?
Zands : Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours eu un grand intérêt pour les percussions cubaines à main, pour les percussions brésiliennes et du Moyen-Orient. C’est une compétence que j’ai développée pendant mes études à Berklee et lors de mes voyages à Cuba. J’ai sauté sur l’occasion de jouer en live pour Melt Yourself Down car ils me permettent de continuer de jouer de ces instruments tout en explorant de nouveaux rythmes et techniques qui fonctionnent avec l’énergie survoltée et les multiples facettes du groupe.
4. Et ensemble, vous avez joué pour des artistes internationaux tels que Lady Gaga, et même pour Them Yorke et son album studio « Anima ». Comment avez-vous fini par jouer pour eux, et est-ce que cela vous a aidé d’une manière ou d’une autre pour construire le projet Minihi ?
Z : L’expérience avec Lady Gaga était pour le moins intéressante car j’avais été booké par un agent la veille d’une émission télévisée en direct. Je pensais jouer des percussions dans le cadre d’une formation live plus large mais en arrivant, je me suis vite rendu compte qu’il s’agissait d’une performance en duo avec elle que nous devions préparer le matin-même ! Je ne peux pas dire que je suis un fan inconditionnel de sa musique, mais c’était une journée très enrichissante et sa voix live était incroyable ! Ensuite, Thom Yorke est un héros musical pour nous deux donc on s’est senti très privilégiés d’avoir pu jouer sur un album aussi incroyable. On a joué pour lui dans le cadre du London Contemporary Orchestra. Nous avons tous les deux reçu un appel pour venir à Air Studios pour jouer du vibraphone texturé et des verres à vin accordés. Nous ne savions pas que c’était pour le nouveau disque de Thom Yorke jusqu’à ce que nous arrivions et que nous le voyions avec Nigel Godrich dans la salle de mix ! Travailler avec d’autres compositeurs et interprètes du classique au jazz et à la pop nous inspire. Pour Minihi, on s’inspire de tout ce que nous entendons, voyons, lisons et expérimentons.
5. À propos de Minihi cette fois, quand avez-vous commencé à composer ensemble ? Et quelles sont vos principales influences ?
L : Nous composons ensemble depuis plus de 10 ans, on a commencé à travailler ensemble sur de nombreux spectacles de théâtre, jeux vidéo et courts métrages. En 2018, nous avons décidé qu’il était temps pour nous d’écrire notre propre musique pour exprimer nos influences et expériences communes. C’est ainsi que Minihi est né. Nous avons tous deux étudié au conservatoire Guildhall de Londres – donc on a tous les deux joué la musique des géants de la musique classique comme Reich, Cage et Xenakis. Zands a passé un an à Berklee à Boston pour tout apprendre sur les percussions à main, et j’ai joué beaucoup de musique traditionnelle, de percussions arabes et de musique vocale tout au long de ma carrière. Nos parcours combinés constituent déjà un véritable melting-pot. Nous sommes très influencés et inspirés par des artistes et des groupes qui défient les genres et qui évoluent constamment. Pour n’en citer que quelques-uns : Son Lux, David Byrne, Rival Consoles, Caribou, Jenny Hval, Hannah Peel et Brian Eno.
6. Vous avez sorti mi-mars un excellent premier album, intitulé « Recaptures », sorti sur « Unpercieved Records », un label basé à Berlin. Votre premier morceau ‘Tokaido’ est quant à lui sorti sur le label Deutsche Grammophon – qui publie également les œuvres d’Agnes Obel . Votre disque raconte des histoires (sans paroles), des histoires issues de divers souvenirs, lieux et bâtiments, tous situés dans différents pays du monde et n’ayant parfois aucun lien les uns avec les autres. Que signifie «Recaptures» ? Je comprends personnellement le titre comme l’envie de livrer votre propre interprétation de ces lieux et moments, en les « capturant » non pas par le biais de la photographie, mais par le biais de sons et de voix ?
Z : La narration et les histoires sont importantes pour nous, car elles stimulent notre créativité et donnent du sens à notre travail, et avec ce disque, nous voulions éprouver de nouveau des sensations liées à des expériences qui ont eu un grand impact sur nous, et nous voulions véhiculer ces dernières par le son. Un souvenir est une impression personnelle et subjective, et les souvenirs changent et évoluent souvent. Il en va de même pour la manière dont les gens vivent la musique, chaque individu la vit différemment. Donc pour nous, chaque morceau est une interprétation personnelle d’un souvenir et d’un sentiment, et ceux qui l’écoutent ressentent leur propre version de ce sentiment, et cette dernière peut prendre une signification totalement différente, ce qui n’est pas dérangeant puisque c’est la nature même de la mémoire et de la perception.
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7. Passons maintenant à « Recaptures », et commençons par son premier titre, « Lost Takeno ». Il porte un nom à consonance japonaise, et pour cause : vous avez composé ce morceau avec des sons qui ont été enregistrés dans une rue japonaise que vous aviez tous les deux visitée il y a des années. Qu’est-ce qui vous a donné envie de retranscrire ces émotions en musique ? Êtes-vous souvent inspiré par le monde alentour ?
L : Nous sommes extrêmement influencés par notre environnement. « Lost Takeno » (et notre premier morceau « Tokaido ») ont tous les deux été écrits lors d’un voyage que nous avons fait au Japon fin 2018 et qui nous a tous les deux beaucoup marqués. « Lost Takeno » en particulier a été écrit sur le jour où nous avons visité un petit village de pêcheurs en bord de mer appelé Takeno, un jour de tempête, loin des sentiers touristiques. D’énormes oiseaux tournoyaient au-dessus de nos têtes et des vagues s’écrasaient contre les berges aux allures brutalistes. Nous n’avons pratiquement rencontré personne ce jour-là… c’était comme une ville fantôme, tous les volets étaient fermés. C’était étrange, fascinant et on avait l’impression d’avoir la ville pour nous tous seuls. Nous nous devions de retranscrire cette expérience en musique.
8. J’enchaîne avec « Hallowed Halls », un titre qui rend hommage une l’architecture ancienne et chargée d’histoire. Qu’est-ce qui vous attire dans l’architecture, et surtout, qu’est-ce qui vous a donné envie de traduire ses formes en musique ?
Z : On apprécie l’architecture car c’est un Art qui est totalement fonctionnel. Un peu comme la musique, elle vous entoure totalement, et l’individu est libre de prendre conscience ou non de ce fait. L’activité qui se déroule au sein d’un bâtiment est également le reflet de cette architecture et, par conséquent, l’architecture, son design lui-même influence le comportement des êtres qui vivent à l’intérieur. Au cours de la pandémie, la fonction première de ces bâtiments anciens est devenue superflue. Il ne nous restait plus que des monuments de siècles / décennies d’activité dormants, mais leur fonction avait disparu, tout comme celles des humains. Qu’est-ce que l’architecture sans les humains ? C’est ce que nous voulions explorer dans ce titre.
9. Je voudrais ensuite passer à « Phemie’s Walk », un titre qui raconte l’histoire d’un souvenir que vous partagez tous les deux. Je trouve qu’il y a quelque chose de poétique, une forme de poésie douce et silencieuse dans les titres qui parlent de souvenirs personnels ou d’expérience qu’on peut qualifier d’intime, surtout lorsque l’expérience partagée est difficile. Est-ce que le fait de retranscrire ces expériences sous forme de musique instrumentale rend la chose plus facile ? Ou est-ce que ça reste tout de même un exercice difficile ?
L : Ce titre raconte l’histoire de la dernière marche que j’ai faite sur un sentier isolé dans les Highlands écossaises avec mon père Chris et ma sœur, avant qu’il ne tombe malade. J’ai écrit l’essentiel du morceau lors du premier anniversaire de son décès, sans avoir l’intention d’écrire quoi que ce soit. Je savais que je voulais composer un morceau sur cette période incroyablement difficile pour ma famille, mais il n’y avait pas de façon facile de le faire. Quand vous regardez en arrière, certains souvenirs sont plus douloureux que d’autres, et c’est le cas de ce souvenir en particulier. C’était une belle journée, le paysage était à couper le souffle, j’étais heureuse d’être en compagnie de deux membres de ma famille, mais il y avait un sentiment sous-jacent, comme si quelque chose n’allait pas. Je suppose que la composition peut être considérée comme un moyen de traiter ces souvenirs difficiles, et peut en fait être assez thérapeutique. Après avoir écrit ce morceau, j’ai eu l’impression d’avoir un poids en moins à porter. Pour moi, c’est plus facile de transmettre une émotion sans avoir à écrire de paroles car il n’y a pas à traduire l’émotion dans une langue. Elle est là, brute.
10. Enfin, j’aimerais en savoir plus sur le morceau qui conclut l’album, intitulé « Three Portals ». C’est un morceau qui, bien qu’il démarre sur des nappes sombres et minimalistes, gagne rapidement en intensité, nous laissant en fin d’écoute avec un sentiment d’espoir. La musique elle-même me rappelle également les bandes son de certains jeux vidéo. Quels sont ces « Three Portals » ? Et êtes-vous inspirés de quelque manière que ce soit par la musique à l’image (qu’il s’agisse d’OST de jeux vidéo ou d’OST de films) ?
Z : Three Portals est une sorte de collage, on a d’abord composé la section centrale : un duo de vibraphone et de piano. On y a ensuite ajouté la première section, qui est cette grande construction de pianos, de cloches, de batterie basse et de trémolos joués au synthé. On s’est dit ensuite qu’il fallait équilibrer le tout, et c’est pourquoi on a ajouté la dernière section. Chaque section, chaque « portail » finalement avait une saveur distincte, et pour nous le premier portail est distant, énorme, pesant et représentait le passé. Le portail du milieu (le présent) est intime et proche, et le dernier est céleste et rêveur et ressemble au futur. « Three Portals » est essentiellement une interprétation musicale du temps. Et nous sommes définitivement de grands fans des OST. Nous sommes tous les deux vraiment fans de la bande originale de Mandalorian de Ludwig Göransson en ce moment. C’est un travail incroyable qui est en parfaite harmonie avec l’action à l’écran.
11. Je sais que vous venez de sortir cet album, mais est-ce que d’autres choses sont à venir dans les prochains mois pour vous ?
Plus de performances live ! Nous avons inauguré notre album avec un livestream et on a hâte de pouvoir jouer devant un vrai public et de rejouer cette performance. On compose, aussi. On prépare toujours de nouveaux morceaux.
12. Enfin, quel artiste suivez-vous de près en ce moment et pourquoi ?
Jay Chakravorty, un artiste de musique électronique et classique qui vient de sortir un premier album incroyable intitulé « A Map With No Memory ». Il est vraiment unique en son genre.
Minihi est à retrouver sur toutes les plateformes de streaming. Vous pouvez également les suivre sur Instagram !
– découvert via Groover.