Elle a réalisé ce que beaucoup pensaient alors impossible à l’aube d’une pandémie mondiale : lancer son propre projet musical et toucher les foules. Forte de son expérience au sein du projet La Vague qui avait d’ores et déjà fait parler d’elle en 2019 et 2020, Thérèse gravit les échelons à vitesse grand V : son projet décolle avant même que son premier EP « Rêvalité » ne sorte ; aujourd’hui épaulée par une équipe de professionnels indépendants, la chanteuse qui s’accompagne en studio comme sur scène d’Adam Carpels aborde des sujets aussi forts que personnels au sein de chacun de ses titres. À l’occasion de sa performance au Crossroads Festival de Roubaix le 10 septembre dernier, nous en avons profité pour lui poser à elle comme à Adam Carpels quelques questions.

1. Hello Thérèse ! Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore ?

Thérèse : Alors, je m’appelle Thérèse, j’ai 35 ans, j’habite à Paris, je suis d’origine sino-lao-viet, je suis née à Ivry-sur-Seine… et j’aime beaucoup le fromage ! Et je me définis un peu comme un carrefour social parce que j’ai une histoire qui m’a fait naviguer entre plein de milieux différents. Je suis aussi un peu comme un arc-en-ciel, comme une rencontre entre la pluie et le beau temps, entre plein de nuances différentes, mais qui n’ont pas de délimitations précises !

2. Avant de parler de ton projet actuel, je voulais revenir sur La Vague, un duo au sein duquel tu évoluais avant de te lancer en solo. Est-ce que tu peux nous raconter l’histoire de ce duo justement ? Et en quoi est-ce que ce projet t’a permis de façonner la musique que tu fais aujourd’hui (si c’est le cas bien sûr !) ?

Thérèse : En fait, c’est drôle parce que mes projets musicaux sont souvent nés de catastrophes, qu’elles soient personnelles ou mondiales. La Vague c’est né suite à mon burn out chez Kenzo. J’ai fait des études, prépa école de commerce et ensuite j’ai bossé 5 ans dans le marketing chez Kenzo Parfums. Et je me suis rendue compte au fur et à mesure que je ne me trouvais pas à ma place. J’allais au bureau en souffrant, pas parce que je n’aimais pas mon job, franchement c’était hyper chouette, mais j’y trouvais peu de sens. J’avais juste l’impression de me lever et d’aller donner de la thune à Bernard Arnaud, et de crever. J’avais des vacances certes, je pouvais sortir et me payer des restos, certes, mais ça ne me suffisait plus. Du coup, j’ai réussi à négocier une rupture conventionnelle, ce qui m’a donné deux ans de chômage – merci la France (rires) – et grâce à ça, j’ai pu me dire « vas-y, tente de monter un groupe de musique ». Et comme j’ai un côté un peu bon élève, j’ai fait ça sérieusement. Tu vois, premier truc, crowdfunding. On monte La Vague avec John, que j’avais croisé dans des jam sessions, on avait joué un peu ensemble, on avait même monté un groupe de reprises à l’époque, et en fait, comme on commençait à se faire un peu un public, on s’est dit qu’on allait écrire des chansons. On en a écrit une, deux, trois, quatre, cinq… on a recruté des musiciens, bassiste / batteur, et on a fait une première campagne de crowdfunding où on a réussi à amasser quasiment 7 000 euros, alors qu’on n’était personne ! Ça c’était vraiment cool, ça nous a permis de faire un premier EP qui s’appelle Sérotonine.

Adam : Et il faut savoir que quand Thérèse elle dit qu’elle fait les choses sérieusement, c’est genre, elle a envoyé 400 mails. C’est Thérèse quoi ! (rires)

Thérèse : C’est ça, genre elle s’est réveillée un bon matin elle s’est dit qu’elle allait sortir un disque, et voilà ! Je me suis prise au jeu, et le public a suivi. On a eu la chance d’être accompagné et repérés par le Zebrock, qui est un dispositif d’accompagnement qui est hyper chouette parce qu’il est pas du tout dans la logique de « l’industrie ». Donc ils nous ont fait confiance, on a été lauréats de leur dispositif, donc on a pu jouer à la Fête de l’Huma’, on a commencé à se faire un peu remarquer, et c’est à ce moment là qu’on a signé avec le label La Couveuse. Et on a grâce à ce label ainsi qu’à l’éditeur Chancy Publishing, on a pu sortir notre EP qui s’appelait « Lemme Be ».

Thérèse : L’aventure de La Vague a duré trois ans et demi, c’était cool, on a fait pas mal de concerts, je pense qu’on a une quarantaine de dates à notre actif… on a fait la Fête de l’Huma, les Bars en Trans… et puis au moment d’annoncer le tourneur donc le 12 mars de l’année dernière, c’était aussi le jour de mon anniversaire, et le jour de l’allocution de Macron. Eh bah on s’est fait couper l’herbe sous le pied, et on a rien annoncé du tout. Je ne sais pas si j’ai pris ça pour un signe ou pas, ça faisait déjà un moment qu’avec John qu’on était moins d’accord, à la fois sur la direction artistique mais aussi sur le discours. Et je sentais qu’il y avait un truc qui grandissait en moi, une envie de dire des choses de façon plus frontale et que je faisais sur mes comptes persos, mais que je pouvais pas faire à travers ma musique. Le confinement a mis un peu tout ça à plat, j’ai pris du temps pour réfléchir, pour réfléchir à la place de l’artiste dans la société, et quel type d’artiste moi je voulais être. Et ça paraît un peu métaphysique, avec le recul c’est presque ridicule, mais au moment où la Covid est arrivée, on s’est quand même dit « qu’est-ce qu’on va devenir ? ». On ne sait pas ce que c’est, on se pose des questions qui sortent de l’ordinaire comme la question de la mort, « et si je crève demain ? ou dans un an ? » est-ce que je suis fière de ce que j’ai fait ? Et la réponse a été moyennement satisfaisante. Du coup, ça s’est combiné avec cette denrée rare qu’est le temps et que la vie nous a offert, et j’étais confinée seule. Et je crois que c’est une des périodes les plus riches que j’ai vécu, intérieurement. Vraiment. Parce que finalement j’ai eu du temps et je me suis mise à Ableton, à l’aide de ce monsieur en face là (Adam Carpels, ndlr), parce qu’en fait on discutait déjà de musique, avant, et il a pris le contrôle de mon ordinateur à distance – la technologie ! – et en fait il m’a montré les premiers tips. J’avais jamais ouvert Ableton avant, donc j’ai appris à créer une piste, à enregistrer, à mettre une réverb’ si t’en as envie, créer un drum rack, des trucs basiques. Et je me suis amusée, j’ai fait des Legos, et Thérèse a joué et son jeu c’était de faire un son par jour, enfin des maquettes, des débuts de maquettes, mais quand même. Donc tous les soirs, je lui envoyais le truc pour qu’il écoute, juste comme ça. Et il me disait « franchement c’est cool ! ». À la fin du confinement, il a débarqué à Paris, et il m’a proposé, il m’a dit « franchement il y a un truc, j’aimerais bien t’aider à finir tout ça, en faire quelque chose ». Au début j’étais un peu réticente, et puis je me suis dit « allez essayons ». On a essayé, et voilà, trois semaines plus tard, on avait plein de maquettes, on les a envoyés à Alex de La Couveuse, qui était mon ancien label avec La Vague, parce qu’Alex, c’est quelqu’un en qui j’ai confiance, je voulais juste avoir son avis amical. Et la en fait il me dit « franchement, si on est des oufs, on lance un titre en juillet ». On était fin mai hein. Et là il appelle un ingé son.

Adam : Et il faut quand même rappeler qu’à cette époque là, c’était un peu chelou, parce qu’on savait pas quoi faire, y avait personne qui ne sortait rien.

Thérèse : Oui c’était une grosse pause, dans l’industrie.

hauméa : Oui ! Tout le monde faisait des livestreams, mais pas beaucoup de créa. 

Adam : Oui donc qu’un label se dise « allez, on sort des albums »… tout le monde pensait que c’était bouché. Et la preuve que non, parce que ça été.

Thérèse : Oui en fait on a vécu une sorte d’alignement des planètes. J’ai appelé Alex avec qui j’avais déjà bossé sur le deuxième EP de La Vague et dont j’adorais le travail, et j’avais vraiment envie qu’on travaille ensemble et qu’Adam le rencontre aussi. Et il était dispo, ce qui est rare parce qu’il s’occupait quand même de Thérapie Taxi. Et finalement, on est rentrés en studio, on a enregistré un titre, on l’a sorti en juillet 2020, et après… bah il s’est passé tout ce qui s’est passé depuis ! C’est un peu fou comme histoire, parce que c’est sorti vraiment de nulle part. 

3. Et justement, ça embraye sur une question que je voulais poser : depuis ces derniers mois on t’a vue un peu partout dans les médias, et ça s’est passé très vite ! Qu’est-ce que ça fait, surtout en sortant d’un ancien projet artistique, de recevoir autant d’attention de la part de médias parfois très convoités ?

Thérèse : En fait, c’est très bizarre, parce que j’ai l’impression d’être scindée en deux. À la fois t’as la tête dans le guidon, tu fais, tu crées, tu te rends compte de rien, et quand tu es pris dans cet espèce de rythme effréné de l’industrie, du toujours plus, du capitalisme, « faut sortir des trucs, faut faire des clips, faut faire des interviews, il faut il faut il faut », tu vois, l’injonction à faire et à produire, eh ben il y avait des moments où je ne me rendais pas compte de tout ça. Et de l’autre côté, il n’y a pas si longtemps, c’était peut-être en mars ou en avril quand l’EP est sorti, on s’est dit « eh, mais ça fait même pas un an », c’était fou, j’avais fait mes premières télés mes premières couvertures de magazines, des trucs fous que je n’aurais jamais pu imaginer ! Trouver un tourneur en pleine crise ! C’était quand même incroyable. Donc à la fois ça te remplit de joie, et c’est aussi extrêmement vertigineux. Enfin, c’est pas tant le fait de faire des couvertures qui est vertigineux, c’est le rapport à l’autre, aux gens. Il y a des gens pour qui j’étais une meuf qui faisait des couvertures de magazine, donc que j’étais une star, que j’étais connue, et que j’étais riche, alors que pas du tout ! Du coup c’est chouette, et en même temps j’essaie de faire attention à ce que ça ne biaise pas la vision des gens. Moi, je suis une artiste indé, notre équipe est indépendante, on n’a pas de moyens, on fait tout avec nos potes et parfois avec trois bouts de ficelle, qu’on travaille comme des fous, qu’on n’a pas d’argent, qu’on n’a pas de week-ends… et que ce n’est pas parce que tu fais des stories parce que tu es en festival que ça y est tu es célèbre !

Thérèse couverture Causette

– Thérèse en couverture de Causette en compagnie de Pomme (haut) et Suzane (milieu)

Adam : Puis même chez nous hein, mine de rien avec ce Covid, on a eu un projet qui a eu la chance d’avoir un petit écho dans la musique et au niveau médiatique, mais finalement, même pour Thérèse, tu vois que le truc monte, tu vois que son compte Insta commence à avoir 10.000 followers, mais en fait tu ne les vois pas ces gens vu que personne ne sort ! Et du coup y a eu un moment il y a quelques mois où on a commencé à ressortir, et il y a des gens qui l’arrêtent dans la rue en disant « eh c’est toi Thérèse ? »

Thérèse : C’est bizarre !

Adam : Et ils connaissent les paroles par coeur, donc tu te dis « ah ouai il y a des gens derrière ces chiffres en fait », c’est très bizarre comme sensation.

Thérèse : On arrive à Orléans, on joue notre set, bon nous on avait vraiment l’impression que personne ne nous connaissait, et arrive « T.O.X.I.C » donc la dernière chanson du set, et là je vois deux nanas en train de faire la choré que j’avais inventée, la choré avec les mains quand on a sorti le clip, je me suis dit « donc ca veut dire que ces filles elles me suivent depuis au moins un an ! », et c’est fou de te rendre compte, de palper le truc. Ce ne sont pas que des chiffres, c’est pas que des écrans, c’est pas que virtuel en fait.

4. Et justement en parlant de « T.O.X.I.C », tu as sorti un premier EP nommé « Rêvalité », un EP fort qui t’a permis de parler de sujets comme la toxicité, le féminisme mais également le racisme envers les personnes d’origines asiatiques. Est-ce que ce sont des sujets que tu as voulu aborder de suite ? Ou est-ce que c’est venu au fil des compos ? Et est-ce que c’est quelque chose que tu souhaites continuer à aborder ? 

Thérèse : En fait, c’est drôle parce qu’on me dit souvent « ouai, t’es une artiste engagée », « tu milites pour ceci, pour cela », alors c’est vrai, mais le truc c’est que d’une part, j’ai toujours été sensible à tout ça, moi j’écris pas des textes en me disant « il faut que j’écrive sur ce sujet », comme plein d’artistes je pense moi j’écris sur ce qui me traverse, et comme je suis sensible au monde et à ce qui se passe autour de moi, bah forcément la question du féminisme, du racisme… anti-asiatique qui plus est avec tout ce qui s’est passé cette dernière année, forcément ça m’a touchée ! Et tu vois mon compte est public ! Il y a peu d’artistes asiatiques en France, d’origine asiatique en tout as, donc très vite je me suis retrouvée à être presque un bureau de doléances auprès de plein de jeunes femmes, ou de mecs aussi, qui me disaient qu’ils se faisaient frapper à l’école, qu’ils se faisaient insulter… je ne peux pas rester insensible à ça ! Donc à un moment donné, ça sort. Et puis les relations toxiques c’est ce qui me traverse, ce sont des expériences que j’ai vécues, et puis dont j’ai entendu parler autour de moi, donc il y a toujours du vrai dans ce que je raconte, du vécu personnel, après je synthétise aussi avec des choses que j’ai entendues à droite à gauche, et parfois je romance aussi un petit peu. C’est de la musique, quoi ! C’est pas forcément mon journal intime. 

Adam : Et tu vois, à l’inverse, « Chinoise ? » c’est un titre qu’on a sorti en réaction à tout ça justement.

hauméa : Oui c’est ça ! J’allais poser la question justement, est-ce qu’il y a eu un élément déclencheur justement, qui a fait que tu as eu envie de partager tout ça. Parce que c’est pas évident de partager tout ça. C’est facile d’écrire, mais de partager, beaucoup moins ! 

Thérèse : Figure toi que, en fait, « Chinoise ? » j’ai commencé à l’écrire deux ans avant sa sortie. Parce que le racisme anti-asiatique ne date pas du Covid. Et j’avais commencé à l’écrire, j’aimais bien la chanson, je l’avais écrite en anglais. Et je l’avais jouée une seule fois, à un nouvel an lunaire à la mairie du 13ème aprce qu’on m’avait invitée à jouer là-bas. Et c’était cool, on avait fait un truc chouette, mais la prod’ me correspondait pas totalement, puis à l’époque j’étais dans La Vague donc j’avais d’autres considérations. Et au moment donc de ce premier confinement, j’ai repris ces paroles, j’ai fait un début de prod’ dessus, Adam a repris la prod’ derrière, et au bout d’un moment, il me dit « Thérèse, en fait, cette chanson, elle est quand même forte, tu abordes un sujet super fort et on est en France, et en vrai si tu veux que les gens comprennent les paroles, faudrait que tu la fasses en français ». Alex, du label, me dit la même chose. Du coup bon, je me dis « j’y vais? j’y vais pas? », c’est extrêmement difficile de traduire une chanson que tu as déjà commencé à écrire dans une autre langue donc gros challenge. Et finalement, je me suis prêtée au jeu, j’ai mis du temps à écrire ce texte. Et je suis hyper contente de l’avoir fait parce que finalement je me rends compte qu’il est beaucoup plus précis en français qu’en anglais, il y a des références que les gens peuvent comprendre, comme les Balkany, que tu ne peux pas traduire en anglais ! Donc plutôt ravie de l’avoir fait. Et ce titre devait être dans l’EP, on ne savait pas si on allait le sortir en single ou pas parce que c’est quand même un sujet bien touchy, mais il y a un moment où il s’est passé tellement de trucs… Juste avant le deuxième confinement il y a eu un appel à la haine sur Twitter, un appel à tabasser tous les chinois. Face à ça, on s’est dit bon…

Adam : Oui puis y a peut-être une peur aussi, en fait personnellement j’ai eu peur tu vois.

Thérèse : J’ai eu très peur aussi, j’ai eu très très peur.

Adam : On recevait des messages assez énervés…

Thérèse : J’ai reçu des menaces, tu vois. Donc t’as peur tu vois, tu te dis que t’as besoin de le faire, mais de l’autre côté tu te dis « est-ce que je suis pas mieux dans l’anonymat ? », à ne pas porter ça comme un flambeau tu vois ? C’est lourd comme responsabilité à porter ! Mais je pense qu’il y a un moment où le coeur te porte au delà de tes peurs. Ça éteint cette espèce de feu, c’est une espèce d’urgence vitale, donc on s’est dit « bah allez on y va ».

Adam : Oui puis ce qui est pas simple aussi tu vois c’est quand tu parlais de relai dans les médias et tout, c’est un truc dans lequel tu peux très facilement te faire enfermer. On a eu très peur de ça, « ah c’est l’asiatique de France qui fait de la musique » !

hauméa : Oui justement c’est pour ça que je n’ai pas voulu te qualifier comme une artiste engagée, parce que de un t’es au début de ton projet, et de deux c’est peut être éphémère tout ça, en fait. Peut-être que tu as commencé à parler de ça au début mais que c’est pas quelque chose que tu veux développer sur le long terme !

Adam : Eh bah c’est quelque chose dont on a beaucoup discuté, c’est rigolo parce qu’aujourd’hui on se rend compte que ce qu’on appelle « artiste engagé », en vrai ce sont juste des gens qui raconte des trucs ! C’est comme si on avait des artistes qui racontent des trucs et des gens qui racontent rien, non, normalement on est censés tous raconter plus ou moins des choses tu vois ! C’est bizarre de dire artiste engagé.

Thérèse : Effectivement c’est souvent ça que je dis, c’est que je me dis mais c’est pas moi qui suis particulièrement engagée, c’est qu’il y en a qui sont extraits, de ce qui se passe dans le monde. Après, je me dis, il faut aussi de tout ! Moi j’ai rien contre les gens qui disent « I love you, you love me » et qui nous font danser sur le dancefloor, mais moi c’est pas ce que j’ai envie de faire. Là on est en train de commencer à écrire la suite, avec Adam, et en fait je me rends compte que les sujets qui me traversent c’est toujours ça ! Là ce soir on ne va pas jouer « Anthropocentric » parce qu’on n’a que 30 minutes de set, mais je voulais écrire quelque chose sur la disparition des animaux, et finalement j’ai fini par écrire une chanson sur l’anthropocentrisme, sur le fait que nous en tant qu’être humain on se croit au centre de tout, on se croit tout permis et on défonce la planète, alors qu’en fait on fait partie d’un tout et on l’oublie ! Mais, d’un autre côté, je suis encore et toujours attachée aux sujets très intérieurs, et là ce soir tu vois, vous allez pouvoir l’entendre, mais je vais jouer une chanson qui s’appelle « Jealous », qui parle de jalousie… enfin voilà, j’aime bien aller tacler les sujets qui parlent de traits de personnalité, ou d’émotions dont on peut avoir honte, et juste de dire aux gens « n’ayez pas honte c’est juste humain », après il faut travailler dessus.

5. On se voit aujourd’hui dans le cadre du Crossroads Festival : comment est-ce que l’opportunité de jouer ici s’est faite ?

Thérèse : Ah, bah ça…! En fait, c’est vraiment parce quand on a commencé à bosser ensemble avec Adam, on s’est quand même posé la question, on s’est quand même dit « ouai, mais du coup, t’es à Lille, moi je suis à Paris, c’est un peu compliqué », puis tu commences à essayer de voir un peu dans l’industrie comment tu pourrais avoir des opportunités, remplir des dossiers de candidature pour des tremplins… Et on te demande de suite « de quelle ville vous venez ? ». Alors bon, tu ne sais pas trop comment annoncer la chose, moi je suis en lead, le projet porte mon nom, mais Adam c’est un co-compositeur, etc. Et il s’avère qu’Adam, bah il est de Lille, et il est accompagné par la Cave aux Poètes depuis les débuts de son projets, et via Adam, j’ai pu rencontrer Nicolas, le directeur. Il s’avère que l’on s’est super bien entendus, qu’il a trouvé la musique cool – bon, pour les prods, pas difficile, s’il aimait déjà Adam Carpels, même si c’est pas la même chose ce qu’il fait avec moi, il y a quand même de sa patte – et à côté de ça, je pense qu’au niveau humain ça a matché, au niveau des valeurs aussi, et en fait ça été un des premiers en dehors de Alexandre François que je connaissais déjà et avec qui j’avais déjà bossé, « j’y vais ». Vraiment, il a eu le courage, j’ai envie de dire, l’humanité, la gentillesse, et puis même il y croit artistiquement je pense, donc il nous a permis de pousser le projet ! Donc il nous a permis de faire des résidences ici, on a eu la chance aussi d’être mis en relation avec Le Flow (un dispositif d’accompagnement de jeunes artistes émergents des Hauts de France et faisant partie des cultures urbaines, ndlr), moi Sylvain je le connaissais déjà un petit peu parce que j’étais intervenue sur une formation pour des rappeurs. Et pareil, avec Sylvain on a travaillé main dans la main, entre Le Flow, La Cave aux Poètes, Lille, Paris, Roubaix… pour monter ce projet. Donc voilà, c’est un peu tout ça qui fait aujourd’hui que le projet se revendique complètement parisien et des Hauts-de-France, mais pas que ! Je suis aussi soutenue par le Makeda à Marseille tu vois, et en fait, je me dis que finalement, c’est hyper cliché, mais je suis une enfant du monde ! Je le disais tout à l’heure sur une autre interview mais en gros, le projet aujourd’hui c’est quoi ? C’est une française d’origine sino-lao-viet qui chante en trois langues sur son EP, qui travaille avec un producteur lillois qui a des origines polonaises, et à côté de ça tu as Kengo Saito qui est un musicien sur l’EP, qui est un japonais né au Japon et qui habite à Paris et qui a joué des instruments afghans mais sur des gammes plutôt d’Asie de l’Est et du Sud-Est, sur l’EP ! Il y a un côté tradi-électro, moderne, tu vois… tu peux pas revendiquer une musique sur le monde si tu vas pas en dehors de ta ville.

Adam : Après, c’est ce qu’il s’est passé, mais dans les faits, polituquement c’est beaucoup plus compliqué que ça. Dans notre cas, Thérèse est lead et on avait vraiment envie de mettre son nom en avant. Déjà parce que c’est une femme, une asiatique, donc on avait envie de la mettre en avant entre grosses guillemets comme « personnage », tu vois, mais politiquement c’est compliqué parce que nous on est dans ce délire « on s’en fiche des frontières », c’est cool, mais dans les faits tu as la DRAC de telle région qui va te dire « ouai mais en fait elle est de Paris toi tu es de Lille donc comment ça se passe ? »

Thérèse : Et le Printemps de Bourges, tu présentes où les Inouïs ? Bah en fait, je présente nulle part ! Et d’ailleurs personne ne veut de moi, hein. On a postulé à pas mal de trucs comme tout le monde, on a eu la chance quand même d’avoir été soutenus par le Ricard Live Music, ça nous a aidé pour donner de la visibilité au projet, et c’était au tout début donc c’était pas négligeable. Et à côté de ça pour l’instant, sur les autres tremplins, personne ne répond. Pour quelles raisons ? Pour moi ça reste un point d’interrogation. J’ai entendu dire, avant, quand j’étais sur La Vague, « ouai mais il faut commencer à faire un certain buzz pour les tremplins », je suis désolée mais là, pour un projet qui a moins d’un an, je ne peux pas aller plus vite ! Et puis on comprend rien à ma musique parce que je mélange trop de choses, je chante dans trop de langues différentes, je mélange trop de styles…

Et après, la dernière question que je me suis posée, qui est un petit peu plus tangible, c’est mon âge. Moi j’ai 35 ans. Et c’est une vraie question dans l’industrie de la musique, parce que finalement, est-ce qu’on connaît beaucoup d’artistes, femmes, qui démarrent un projet à 35 ans ? Et sachant qu’il y a des tremplins où, après 35 ans, tu n’as pas le droit de postuler ! Par exemple je n’ai pas le droit de postuler au Chorus, par exemple. Le projet a un an. Donc qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça révèle de l’industrie ? Et je trouve ça dommage ! Je n’ai rien contre les jeunes, mais aujourd’hui on dit que la musique elle ne raconte pas grand chose. Mais quand t’as rien vécu qu’est-ce que tu veux raconter ? Est-ce que tu peux en vouloir aux jeunes de ne rien dire ? Je ne dis pas que tous les jeunes n’ont rien vécu ! Je dis juste que c’est normal que la majorité des gens qui ont 20 ans aient moins de vécu que des gens qui soient plus vieux. C’est une réalité toute bête. Et à côté de ça aussi, je me dis qu’on parle beaucoup du #metoo, du #musictoo… je pense que ça arrive aussi beaucoup – pas uniquement hein, encore une fois je fais attention à ce que je dis – mais forcément quand tu manipules des personnes plus jeunes, elles sont forcément plus vulnérables ! Et donc c’est plus facile, quand tu as une position dominante de pouvoir, d’aller intimider l’autre, et de pouvoir avoir l’ascendant, et polluer l’autre. On a peu d’informations finalement en tant qu’artiste, afin de savoir quels sont tes droits ? Combien tu peux toucher ? Qu’est-ce que tu dois donner à qui ? Et de l’autre côté : ta santé mentale, de qui tu dois t’entourer ? D’être dans autre chose que de la fame, tu vois ? Qu’est-ce que c’est que d’avoir un projet sain ? Faire confiance à ses partenaires, ne pas croire en n’importe qui… ça personne ne nous l’apprend ! Et malheureusement, soit tu as un caractère qui est forgé pour, et tant mieux pour toi, mais si c’est pas le cas… et qu’en plus t’es jeune… bah tu peux tomber facilement dans des trucs un peu moins rigolos quoi. Et puis en plus, avec les réseaux sociaux, c’est non stop tu vois. Même moi qui essaie de prendre du recul, je peux me rendre compte à quel point ce truc est greffé à ma main, et en plus à quel point ça peut m’affecter, tu vois. Par exemple, j’ai beau savoir que ma valeur se situe pas sur un nombre de likes sur des photos, mais c’est compliqué ! En fait ça surplombe ta personne ! 

Adam : Et puis c’est notre système… bon là je sors un peu de la question de départ mais c’est juste le système, c’est la même chose dans tous les boulots. Et ça je pense que c’est ça le truc, c’est qu’on oublie de nous dire que c’est un travail. C’est pas « tu vas faire ta tournée, tu vas avoir plein de fans et ça va être génial ! », en fait, c’est un boulot. T’as du stress, des angoisses, des mails à envoyer, des trucs que t’as pas envie de faire, des trucs que tu as envie de faire… c’est un boulot quoi. C’est de l’entreprenariat. 

Thérèse : Et puis l’industrie de la musique, c’est une industrie ! Sinon, tu fais de la musique pour tes potes et puis voilà, tu ne cherches pas à en faire un métier.

6. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ce qui se prépare à l’avenir ? Un single ? D’autres prestations live ? Des collaborations avec d’autres artistes peut être ?

Thérèse : Dans l’immédiat c’est des dates, oui. On a la chance de travailler avec un super tourneur qui s’appelle Wart, notre bookeuse s’appelle Audrey, elle est super, et toute la team soutient le projet. Là on a entre 20 et 30 dates qui sont annoncées d’ici mars, donc c’est quand même vraiment très chouette. Après le Crossroads on va enchaîner sur le Smmmile le 18 septembre à la Villette, le 23 à l’Urban Week à la Défense, le 2 octobre je suis invitée par Sônge au Métronome pour un plateau avec Frida qui est une de mes très bonnes amies, il devrait y avoir aussi Flavia Coehlo, Claire Laffut… donc ça va être assez chouette comme plateau je pense ! Et ensuite, grosse date très importante pour le projet : il va y avoir le MaMA le 13 octobre. Je pense qu’il va se jouer peut-être pas mal de choses, on verra ! Je fais confiance à la vie ! Après on part en Bretagne, à Lorient, pour faire la première partie d’Yseult aux Indisciplinés, première partie de Suzane aussi à Morlaix, et puis il y a le Théâtre Scénart qui se bloque aussi en décembre, et puis les Bars en Trans, normalement. Là j’attends de voir si tout est validé. Et puis début d’année prochaine, normalement… tout est disponible sur mon compte Instagram, Facebook et Twitter ! Et puis après, on continue à écrire en parallèle. Et comme je fais plein d’autres activités – enfin je suis styliste à côté – là il y a une pub qui va sortir fin septembre pour laquelle j’ai fait le stylisme, une pub Spotify, et je suis en train de monter ma marque de merch’ donc on va voir ce que ca va donner, mais dans l’idée les premières pistes, sans dévoiler la tenue, ce ne serait que du made in France, et on aimerait bien travailler avec un centre de femmes en réinsertion. Ça c’est l’objectif de fin d’année, j’aimerais bien vous présenter quelque chose à Noël !

7. Enfin, il y a une question que j’aime bien poser en fin d’interview : est-ce qu’il y a un ou une artiste que tu suis de près en ce moment ?

Thérèse : Bah en fait j’en observe plein tout le temps ! Je suis un peu une veilleuse. Mais il y en a une que je suis en particulier depuis des années et dont je parle à toute interview mais je ne m’en lasse pas, c’est quand même M.I.A. C’est une source d’inspiration inépuisable, je pense que c’est la seule artiste qui à chaque fois qu’elle est en live sur Instagram, je la regarde. Parce que je sais qu’elle va dire des choses intéressantes, je sais que ça va me faire réfléchir, ou qu’elle va nous lâcher un son qui ne sera pas sur les plateformes, et je trouve que son modèle est assez intéressant, parce qu’outre le fait que ce soit une femme que je trouve trop belle, hyper badass, super bien habillée, qui chante trop bien, et qui fait des prods trop cool, et qui n’a pas 20 ans, et bah à côté de ça, c’est une femme qui est dans la philosophie que je cultive depuis toujours qui est d’avoir un pied dehors et un pied dedans. Elle a un pied dans l’industrie, bon elle la critique pas mal de temps en temps, elle fait des campagnes H&M quand même, mais à côté de ça elle est hyper impliquée dans la cause des migrants parce que c’est son histoire, dans d’autres causes aussi, mais ça ne l’empêche pas de faire une campagne H&M un jour et une conférence sur les migrants le lendemain. En ce sens, je trouve que c’est une artiste hyper complète, et c’est inspirant ! Avec son Patreon, c’est cool d’avoir une assise suffisante pour pouvoir donner à son public des choses qui ne sont pas dispos sur les plateformes. Moi aujourd’hui je ne peux pas. Tu vois la censure de YouTube déjà (sur le clip de « Skin Hunger », ndlr) ça nous a fait un peu mal. Mais voilà, c’est dans cette direction que j’aimerais aller.


Thérèse est à retrouver sur toutes les plateformes de streaming. Vous pouvez également la retrouver sur Instagram !

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About the Author: Cloé Gruhier

Rédactrice web depuis plusieurs années, j'ai une passion prononcée pour les musiques électroniques et alternatives. Des envolées synthétiques de Max Cooper aux mélodies et textes introspectifs de Banks, mon radar détecte les nouveautés des scènes indépendantes françaises et internationales, et ce entre deux stratégies de communication pour des labels et artistes indépendants !

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