Les musiques ambiantes et néo-classiques : des musiques qui ont vu leurs streams exploser depuis ces derniers mois, et pour cause. Elles ont des propriétés bénéfiques, permettant la relaxation, la concentration, mais aussi l’évasion, ces musiques étant connues pour être particulièrement visuelles. Parmi toutes les dernières sorties ambiantes de ces dernières semaines, c’est l’EP « Power Dynamic » de la compositrice anglaise Jessica Roch qui nous marque ; écrit dans des conditions plutôt insolites et inhabituelles pour l’artiste, il est le résultat d’un isolement, d’une procédure d’adaptation drastique, mais également d’une grande introspection, le tout relaté sur fond de piano, de violon, et parfois de quelques bribes vocales. On écoute le premier EP de Jessica Roch ci-dessous, avant d’en apprendre plus sur son processus de composition.
Quatre titres, quatorze minutes : tout ce qu’il faut pour résumer une aventure haute en couleur et pour synthétiser un processus artistique qui a poussé Jessica Roch dans tous ses retranchements. L’EP s’intitule « Power Dynamic » pour des raisons très particulières – Jessica Roch en effet mentionne que le manque de représentation féminine dans le milieu de la musique classique a eu un effet particulier sur elle. Cependant, bien que le titre de l’EP mentionne subtilement cette surreprésentation masculine dans le milieu dans lequel elle évolue, « Power Dynamic » fait surtout état d’un processus de composition complexe, qui l’a notamment amenée à composer sur un piano qui n’était pas le sien, dans un appartement dans lequel la réverbération était des plus fortes – des contraintes à peine ressenties lors de l’écoute de l’EP.
L’EP démarre sur des notes organiques se perdant en réverbérations éternelles, se chevauchant, mais préparent le terrain pour des accords de piano brut un temps, et des accords de violon un second, venant tous les deux eux aussi se chevaucher les uns les autres dans une progression répétitive mais ô combien calmante. Ainsi, après les relaxantes cinq minutes de « Power Dynamic », on écoute « Nerve Wave », un titre plus accidenté, plus tourmenté, marqué par des accords répétitifs soutenus par des cordes frottées et pincées.
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S’ensuit le seul titre comprenant des vocalises dans l’EP – celles de Jessica Roch, par ailleurs ; intitulé « Dictate/Medidate », le titre joue sur l’ambivalence de ces deux termes, sur la rigueur de la musique classique mêlée à l’absence de mots, à l’abstraction des vocalises qui ponctuent les deux minutes de ce titre. Enfin, c’est « Twelve Oh Two » qui conclut l’EP, un titre en deux temps composé dans un premier temps majoritairement au piano et qui petit à petit, laisse le violon prendre sa place au premier plan.
Vous l’aurez compris, « Power Dynamic » est un EP aux apparences douces et simplistes, mais il est en réalité sombre et complexe, empli de références classiques et d’expérimentations plus libres et moins rigoureuses. Pour en apprendre plus sur l’histoire et la personne qui se cache derrière cet EP, nous sommes allés poser quelques questions à Jessica Roch.
1. Bonjour Jessica ! Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions aujourd’hui. Je voudrais commencer par te demander si tu pouvais nous en dire plus sur ta formation musicale, et notamment sur ce qui t’a amené à vouloir apprendre à jouer du violon et du piano ?
Pour le violon, j’ai été inspirée par la fille de sept ans d’un ami de la famille, je l’ai vue jouer dans un concert et j’ai trouvé qu’elle était géniale. Je n’avais que trois ans ! Mais les enfants plus âgés ont toujours tendance à avoir cet effet sur les jeunes enfants. Apparemment, j’ai harcelé mes parents pour qu’ils me payent des cours jusqu’à ce qu’ils finissent par céder, et peu de temps après mon quatrième anniversaire, j’ai commencé les cours de violon. Heureusement, mon professeur de violon était marié à un professeur de piano, donc un an après avoir commencé à apprendre le violon, j’ai aussi commencé à prendre des cours de piano.
2. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur l’histoire qui se cache derrière cet EP ?
Eh bien il s’agit de mon premier EP, bien que je sois compositrice et musicienne depuis un moment maintenant. Pendant des années, j’ai été musicienne en studio qui travaillait avec un grand nombre d’artistes et de groupes et j’ai écrit de la musique pour des courts métrages et occasionnellement pour de la publicité. J’ai toujours voulu sortir mes propres musiques mais diverses angoisses m’ont empêché de le faire, y compris un manque de représentation féminine dans le milieu et qui a eu un grand effet sur moi. En grandissant, je ne savais pas qu’il y avait aussi des compositrices, alors j’avais l’impression que ma seule option était d’être «meilleure que tous les garçons», ce qui était évidemment une tâche impossible. (Les chiffres augmentent un peu mais nous sommes toujours massivement sous-représentées dans le monde de la musique classique et de la musique de film !). Donc, il y a quelques années, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai commencé à mettre ma propre musique en ligne (avant de sortir « Power Dynamic », Jessica Roch a sorti un double single intitulé « Expanse/Resil » plus tôt cette année, ndlr), et j’ai commencé à écrire cet EP l’année dernière.
J’ai choisi le titre «Power Dynamic» car, en tant que femme dans le monde de la musique / du cinéma et en tant que femme en général, j’ai eu beaucoup d’expériences intéressantes avec la notion du pouvoir – pas toutes très agréables il faut dire. Le mot «dynamique» a également une signification différente pour les musiciens, en particulier ceux issus d’une formation classique, donc le jeu de mot «Power Dynamic» s’avérait être le titre parfait pour exprimer l’ethos en musique.
3. J’ai entendu dire que le processus d’écriture de cet EP était une véritable aventure, est-ce que tu peux nous en dire plus à ce sujet ?
J’ai enregistré cet EP au fin fond de la campagne anglaise, en pleine pandémie. À cause de l’apocalypse mondiale, je ne pouvais pas booker de studio alors j’ai trouvé un petit Airbnb avec un joli piano et j’ai tout enregistré moi-même, ce qui a été une expérience d’apprentissage assez brutale. Je savais que je voulais utiliser beaucoup de réverbération et de délai, donc le son du piano ne pouvait pas être enregistré dans une pièce qui résonnait de trop. Malheureusement, le combo Airbnb au plancher de bois et piano à queue a donné l’impression que je jouais dans une cathédrale ou dans une grotte, alors j’ai utilisé chaque oreiller, coussin et couette de la maison pour atténuer le son. Après quelques jours d’enregistrement, seule, j’étais sur le point de devenir folle et j’ai subi pas mal de problèmes de micros, donc j’étais probablement à un après-midi près de me transformer en Jack Nicholson dans The Shining. Heureusement, mes hôtes ont eu pitié de moi et ont laissé des flapjacks faits maison et de la confiture de framboises, ce qui m’a probablement empêchée de devenir folle. J’ai ensuite retravaillé les morceaux chez moi à Londres où j’ai passé des mois à les éditer et à les mixer. Mon ami (et brillant cinéaste) Mike Day m’a aidé à masteriser l’EP dans son studio. Et oui, les hôtes Airbnb m’ont mis cinq étoiles : « Nous serions ravis d’accueillir Jessica de nouveau, même si elle a fait de drôles de choses avec nos oreillers. »
4. Même si le piano est sans aucun doute la pièce maîtresse de cet EP, tu ne t’es pas contentée de composer au piano. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur les instruments que tu as utilisés pour les morceaux de l’EP ?
Il n’y a que quatre instruments qui ont été utilisés pour faire cet EP – piano, violon, orgue et voix (oh et un peu de vent de la campagne anglaise !). Je voulais trouver de nouvelles façons de les traiter et de les aborder, tout en honorant l’authenticité des instruments. Donc, tous les instruments ont été utilisés de façon traditionnelle et classique, vocalises incluses, mais je souhaitais vraiment triturer ces dernières et les exploiter autrement pour ne pas obtenir un rendu traditionnel. Sur le deuxième morceau, « Nerve Wave », j’ai également utilisé le piano comme instrument de percussion en utilisant un mélange de maillets faits maison, de pincement, de frappe et d’autres techniques pour voir quels types de bruits je pouvais obtenir de l’intérieur du piano et de ses cordes.
5. Enfin, petite question sur « Dictate / Meditate », car cette piste se démarque particulièrement des autres titres de l’EP. Est-ce ta voix sur ce titre ? J’aimerais beaucoup en savoir plus sur le message qui se cache derrière ce titre, car en plus d’être différent des autres son nom est très évocateur !
Oui, c’est ma voix ! En fait, c’est de là que vient le titre d’une certaine manière. La façon dont je compose est généralement un mélange d’écriture de partition (« dictate ») et d’improvisation (« meditate »). J’ai utilisé ma propre voix comme instrument en composant auparavant, mais je ne l’ai jamais exploitée comme caractéristique dominante, alors expérimenter avec ma voix a soulevé toutes sortes de questions sur la façon dont je fais de la musique – la méthodologie et le style, d’où le nom du morceau et le ‘/’ entre ces différents concepts avec lesquels je travaille toujours. Je dois souligner que je ne pratique pas réellement la méditation moi-même – et je ne suis pas non plus un dictateur. L’improvisation est en fait ma forme de méditation et je trouve qu’elle a le même effet pour moi.
Jessica Roch est à retrouver sur toutes les plateformes de streaming. Vous pouvez également la retrouver sur Instagram !
– Disclaimer : découverte via MusoSoup #SustainableCurator.