On avait d’ores et déjà accroché dès l’écoute de son single « Miles Away » ; l’artiste aux multiples facettes artistiques, entrepreneuriales et engagées nommée Harmo Draüs a conquis nos esprits grâce à une musique à la fois éthérée, émotive et dopée aux influences trip-hop, shoegaze et ambient rock. Chargée d’émotions et de sens, sa musique nous emmène à la fois dans son propre for intérieur mais également dans le nôtre. Elle a accepté de nous dévoiler en avant-première le deuxième single de son futur EP à venir en avril ; on écoute « IMH » – acronyme pour « In My Head », ou « dans ma tête » en français – ainsi que sa version remixée par Cate Hortl juste en dessous !

Si vous avez écouté « Miles Away », vous vous attendez certainement à écouter un titre léger, aux sonorités indie pop aériennes ; laissez de côté vos attentes, préparez-vous à un voyage intimiste au leitmotiv lancinant, quasi-hypnotique, qui vous restera, ironiquement, en tête pendant quelques temps.

« I live in my head on my own,
Sometimes »
– Harmo Draüs – « IMH »

Harmo Draüs, sur « IMH » – acronyme donc de « in my head », ou « dans ma tête » en anglais – nous fait voyager au coeur d’un univers sombre, dans lequel on se laisse guider par des vocalises qui rappellent les courants pop alternatifs qui repensent les contours de nombreux genres musicaux. La batterie et les nappes électroniques qui se jouent en arrière-plan et qui donnent un cadre à la voix nous donnent d’emblée envie de réécouter le titre – mais c’est sans compter sur le génie de Cate Hortl, qui arrive juste après, et qui nous donne à entendre une version alternative d’une oeuvre qui a déjà rejoint nos playlists.

Et comme il n’y a pas que son univers artistique qui est chargé de sens, on a profité de cette avant-première pour lui poser quelque questions.

1. Hello Harmo Draüs et merci d’avoir accepté de dévoiler ton single la veille de sa sortie avec nous ! Pour commencer et avant de rentrer dans le vif du sujet – à savoir ta sortie mais aussi tes engagements professionnels annexes – est-ce que tu peux te présenter pour les personnes qui ne te connaîtraient pas encore ?

Merci à toi surtout ! Je suis Harmo Draüs, artiste, autrice-compositrice-interprète et productrice. Je sors un premier EP « Misfits«  avec ce projet solo le 7 avril 2023 sur le microlabel normand que j’ai fondé en 2019, Lilie’s Creatures. 

J’évolue dans des esthétiques plutôt pop alternative avec des inspirations dreamgaze / dreampop, synthwave, electro-psyché. Un mélange d’ambiances atmosphériques lo-fi et de sonorités plus électroniques, plus noires, de synthés, de guitares, de boîtes à rythmes et de percussions, de voix vaporeuses ou torturées. J’ai aussi intégré le projet David Shaw and the Beat depuis 2020 de mon ami Mancunien David Shaw (label Her Majesty’s Ship) et j’ai aussi une casquette chargée de production dans la musique et le spectacle vivant depuis quelques années déjà maintenant.

2. Tu as sorti un premier single – « Miles Away » – il y a quelques semaines, titre qui t’as valu d’être très relayée dans la presse et notamment en radio. Qu’est-ce que ça fait, cette visibilité nouvelle, surtout sur un premier titre et après avoir été accompagnée en amont de ta sortie (notamment par la MEWEM) ?

Ça fait très plaisir de sortir officiellement les choses et que des gens y soient réceptifs et sensibles c’est la cerise sur le gâteau ! Forcément, le relai fait du bien : c’est le travail de plusieurs forces vives qui est récompensé. Ce n’est qu’un début et je reste toujours consciente de la réalité de ce métier ☺

Les compos sont là depuis quelques temps mais j’ai vraiment pris le temps de murir et affirmer le projet, esthétiquement aussi, et de travailler avec des gens pour accoucher de ces premiers tracks. Ça m’a permis de reprendre confiance évidemment aussi parce qu’en tant que femme dans la musique – côté artiste ou côté industrie – on souffre souvent, malheureusement comme dans beaucoup de domaines, d’un syndrome d’imposture et d’illégitimité qui peut mener à un mal être ou « burn out », à l’isolement, se persuadant qu’on n’est pas capable de faire ou de faire aussi bien que son voisin. Puis, il faut s’intégrer face aux boys clubs qui régissent ces milieux depuis toujours, ce n’est pas toujours facile ! Pour ça, MEWEM, un programme de mentorat des femmes, personnes, trans et non binaires fondé par la FÉLIN il y a quelques années, a participé à être un déclencheur pour moi. En réalité, MEWEM n’est pas un dispositif d’accompagnement d’artiste. Ce côté-là je le retrouve plutôt en Normandie auprès des salles de musiques actuelles ou du réseau régional NORMA qui m’accompagnent. MEWEM, c’est vraiment un réseau d’empowerment en mixité choisie qui accompagne l’entrepreneuriat dans la musique. Mais avec ma casquette artiste-entrepreneure (label/prod/manageuse), j’ai participé au programme en tant que mentorée en 2020. C’est là que j’ai rencontré notamment ma mentore, Katel, du label engagé féministe et queer FRACA !!! avec qui je collabore maintenant depuis 2 ans et demi. Ça été une chouette expérience que de partager nos parcours et échanger sur nos états d’âme toutes ensemble en tant que minorités de genres dans la musique.

3. « Miles Away » était beaucoup plus léger et lumineux, musicalement parlant, que « IMH ». Comment est-ce que tu composes tes titres ? Qu’est-ce qui inspire cette ampleur en matière de styles musicaux dans tes titres ?

C’est complètement l’idée de cet EP, je crois, et de mon univers : la dualité. Ça correspond beaucoup à ma personnalité d’ailleurs. Une part sombre, une part lumineuse. Et je crois qu’on a tous-tes ça en nous, mais de manière plus ou moins tranchée. Ça évolue au fil de la vie. Effectivement, « Miles Away » est une chanson (partiellement) plus légère – l’explosion de la fin l’est carrément moins. Mais j’aime bien travailler cette dichotomie justement, entre une sorte de mélancolie heureuse et de maelström de sentiments plus intenses et noirs. D’ailleurs quand je compose, je pars souvent d’un sentiment, d’une émotion que j’ai ressentie, que je veux transcrire ou transcender, d’abord en musique en donnant le ton, le mood, puis dans les mots. L’EP « Misfits » a été principalement écrit dans une période angoissante pour moi mais aussi très introspective, où j’étais beaucoup dans la projection, le rêve, la désillusion donc tout naturellement il y a des morceaux plus intenses comme « IMH ». Il est parti d’un gimmick entêtant et, dès sa version demo, de sortes de vocalises chamaniques, limite rituelles et folkloriques que j’ai d’abord scandées de façon automatique. 

La diversité d’influence est ce qui nourrit ma culture musicale, donc j’imagine que ça transparaît en effet dans ma musique, qui est une sorte de mix de tout ce que j’aime. Et puis je n’ai pas toujours travaillé seule sur les productions de cet EP – tout particulièrement sur « Miles Away » et « IMH ». J’ai collaboré avec plusieurs personnes avec qui j’ai des accroches et des attaches, sur telle ou telle influence. 

Je partage par exemple avec Valentin Barbier (Indigo Birds) et Arthur Huiban qui sont intervenus sur « Miles Away » et « IMH » une culture plus indie-pop, un goût pour les harmonies, les arrangements parfois similaires. Alors qu’avec Jérémy Trombetta, c’est une culture commune plutôt électro / electro-pop qui nous a rapprochés. Tandis qu’avec Louis Ramel (Hada) et Alexis Plateroti, on va avoir des références communes dans le rock et la pop psychédéliques, le post-punk, le shoegaze, la dreampop, et le traitement du son (leur domaine de prédilection aussi).

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4. Aujourd’hui c’est sur « IMH » qu’on se concentre : dans les paroles, on peut t’entendre dire « I live in my head on my own, sometimes » à plusieurs reprises – peux-tu, si ce n’est pas indiscret, nous raconter l’histoire qui se cache derrière ce titre ?

« IMH » est probablement la plus torturée de l’EP. J’avais vraiment envie de parler d’enfermement, d’isolement, d’aliénation. C’est aussi un peu le sujet de « Miles Away » mais à l’inverse car elle se présente plutôt comme une solution quand « IMH » est un constat. Dans « Miles Away » on parle de fuite, de prise de distance, d’exil forcé, de se retrouver soi-même et les autres. C’est pas pour rien qu’elle arrive tout de suite après « IMH » dans la tracklist de l’EP ! 

« IMH » est la part sombre, le point de départ. Je voulais parler de ce sentiment déstabilisant de se sentir seul-e parfois –profondément seul-e, au sens : avoir l’impression de vivre enfermé-e dans sa propre boîte crânienne. J’ai eu cette image un jour (et je suis peut-être farfelue et tant pis !) qu’en réalité, on passe tous et toutes notre vie enfermé-e à l’intérieur de notre boite crânienne, finalement un peu comme dans ce poétique film d’animation de Pixar Vice Versa (pas franchement une référence pour moi car beaucoup trop de « bons sentiments », mais le pitch de départ avec les petits personnages qui représentent des émotions aux manettes de notre cerveau me parle). J’ai eu cette pensée ultra angoissante un jour où ça n’allait pas, que je ne pourrais jamais sortir de ma tête, me défaire de ça, et ça m’a donné le vertige. 

« IMH » parle donc bien évidemment de santé mentale. Parce que quand tu as réalisé que tu seras toujours toute seule dans ta propre enveloppe – malgré l’entourage, la famille, les copaines, le travail, la vie – si tu n’es pas hyper bien dans tes pompes sur le coup, tu ne le vis pas très bien. Ça peut être « too much to take » (trop à gérer, ndlr). Je crois qu’on passe toustes plus ou moins par des phases comme ça. Et ça m’est arrivé jusqu’à l’extrême fatigue.

Quand j’ai composé « IMH », je suis tout de suite partie sur un mood très martial de ce synthbass qui martèle, un peu comme une migraine pulsatile dans tes tempes, qui traduit une sorte d’obsession, de fixette. Ça été sublimé par Valentin. Et comme si, désamorcer cette angoisse devait passer par un rite incantatoire, je me suis répété ces incantations « she’s not alone in her head, her head is full » et ces sortes de vocalises et percussions un peu chamaniques. Parce que si tu me suis toujours sur la réf Vice Versa, je crois qu’on est seul-e enfermé-e dans sa tête justement. On ne fait jamais qu’un-e. On est toujours pluriel-le et on a toujours plusieurs facettes ou versions de nous. « IMH » c’est donc un peu un rite de passage en trois parties : une obsession, un apaisement, une résilience. 

5. Tu as aussi décidé de sortir un remix de ce titre : peux-tu nous parler de cette collaboration avec Cate Hortl ? J’ai toujours vu les remixes comme une vision alternative d’une chanson, ce qu’elle aurait pu être dans l’esprit d’un-e autre producteur-ice, est-ce que tu voulais justement offrir une autre vision de ta chanson ?

Je partage ta position et je crois que c’était vraiment l’idée avec Cate Hortl. Je lui ai laissé carte blanche là-dessus. J’ai d’abord découvert le travail de Charlotte sans le savoir, avec son projet en duo Oktober Lieber que j’ai adoré. Je ne savais pas à l’époque qui elle était. Et puis j’ai été amenée à écrire un portrait pour un webzine indé sur son projet solo Cate Hortl il y a quelques temps maintenant, le découvrant aussi et j’aime totalement son univers. On s’est rencontré en personne pendant Les Nuits Sonores en 2022 à Lyon sur une masterclass. Ça été une super rencontre humaine en plus d’un coup de foudre musical. Puis, Black Mental nous a invitées toutes deux à partager un plateau au Velvet Moon à Montreuil en Octobre dernier. Elle m’entendait pour la première fois en live. Je lui avais envoyé mes tracks avant et elle m’a donné de précieux retours sur ma musique. 

Je lui ai tout naturellement proposer de remixer un titre parce que j’étais vraiment curieuse et enthousiaste à l’idée d’entendre de quelle façon elle s’en emparerait et l’amènerait dans son univers. Son choix s’est tout de suite porté sur « IMH ». C’était évident pour moi parce que justement c’est une vraie queen de la noirceur sublimée. Elle a une façon de travailler le son, les textures, le rythme que je trouve très intéressante et que j’affectionne beaucoup. Je trouve que son remix traduit super bien le côté incantatoire et torturé d’ « IMH », dans une version plus underground, littéralement « six feet under », plus frénétique encore mais aussi plus chaloupée, plus club, plus EBM. L’original et le remix jouent sur les contrastes, mais ils me semblaient assez complémentaires, donc j’ai décidé de les sortir ensemble sur un double single, et non séparément comme si c’était une side version.

6. Quelle place prend « IMH » dans l’EP d’ailleurs ?

Il ouvre l’EP. Je ne lui trouvais pas de meilleure place pour annoncer la couleur ☺ ! Bien qu’il y ait des choses plus légères et atmosphériques musicalement et sémantiquement ensuite. C’est le début de l’histoire d’un esprit torturé qui trouve résilience au fur et à mesure des tracks.

7. Tu as aussi pu te produire en live, notamment en première partie de Jeanne Added, et plein de dates sont à venir de ton côté aussi : comment est-ce que ta musique se joue et se ressent en live ? Est-ce qu’il y a une différence avec ta musique en studio, qui est très produite et qui a une belle part d’électronique dans ses instrus ?

En live, je joue seule avec mes samples, mes machines, mes synthés et ma guitare. C’est en constante évolution bien sûr. Le chant, la voix ont une place importante mais je tends à interagir de plus en plus avec les synthés, mon contrôleur. L’idée c’est vraiment d’installer une ambiance, une atmosphère fantasmagorique et si j’embarque des gens avec moi alors c’est top ! J’essaie de faire en sorte que ce soit un moment suspendu, plein d’émotions, aussi. La fin du set se développe plus sur un live act electro, à tendances EBM justement, et je crois que je me dirige de plus en plus vers ça aussi. J’ai envie de développer ce côté. J’adore bidouiller des trucs, des effets, triturer la voix, les sons. À suivre donc. Le mieux est de venir écouter et voir le 7 avril au Café de Paris, Rue Oberkampf à Paris, le 8 avril à St-Lô ou le 9 mai au Studio de l’Ermitage à Paris.

8. Enfin, il y a toujours une question que j’aime poser en fin d’interview : est-ce qu’il y a un-e artiste que tu suis en ce moment, et si oui, qui donc et pourquoi ?

Question complexe parce que je suis beaucoup d’artistes ! Que ce soit des gens dont je connais déjà la production ou des gens que je découvre, des artistes que je côtoie personnellement, et puis par ma deuxième casquette aussi, je suis forcément portée sur la découverte. 

Si je devais en choisir un-e seul)e que je suis particulièrement en ce moment, je vais dire mes copaines d’HADA – projet « pop à facettes », à tendance garage-noise depuis leur deuxième EP. Notamment parce que je les aime beaucoup et qu’on se serre les coudes. Ils sont en pleine lancée et ça défonce (allez streamer) ! Manon a une voix exquise, Louis (qui a mixé mon EP), Alban et Simon aux instrus sont très doués et ce sont toustes des amours. Iels ont sorti un EP enregistré analo enquelques jours dans la campagne qui s’appelle Marigold, il est dispo sur toutes les plateformes et en physique ! Bises à elleux et merci encore à toi !


Harmo Draüs est à retrouver sur toutes les plateformes de streaming. Vous pouvez également la suivre sur Instagram !

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About the Author: Cloé Gruhier

Rédactrice web depuis plusieurs années, j'ai une passion prononcée pour les musiques électroniques et alternatives. Des envolées synthétiques de Max Cooper aux mélodies et textes introspectifs de Banks, mon radar détecte les nouveautés des scènes indépendantes françaises et internationales, et ce entre deux stratégies de communication pour des labels et artistes indépendants !

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